Mr Ferguson

Mr Ferguson

Stop motion, 2017

Texte d’origine :

Elle était devenue ingérable. Chaque balade avec elle s’avérait gênante et je n’étais capable ni de le lui cacher, ni de le  lui dire franchement. Elle me traînait dans les rues comme un vieux sac: je trébuchais, tombais, bousculais les gens, mais ça lui était égal. 

J’étouffais à ses côtés. Pourtant elle n’était pas bavarde, mais chacun de ses geste et de ses mimiques déclenchaient un noeud d’agacement au fond de mon ventre.

Je pris rendez vous chez un spécialiste où elle s’invita elle aussi. A vrai dire, elle ne me laissait jamais vraiment le choix : elle avait décidément pris trop de place dans ma vie . Le médecin vint nous chercher dans la salle d’attente et nous invita à le suivre.

  • – « Bonjour monsieur Ferguson. Je vois que nous avons un problème, un gros problème. »  dit-il, les yeux fixés d’une façon sévère sur ma droite. « Quand a t’elle commencé à grossir ? 
  •  – C’était il y a 3 mois il me semble, 3 mois et demi tout au plus. ça ne m’a pas alerté au début, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une morsure d’araignée. Et puis nous nous sommes tout de suite entendus, sa compagnie me faisait du bien..  Mais peu à peu elle a commencé à prendre son indépendance, et cela a pris des proportions démesurées. » 

Ma main se tenait à côté de moi, elle me dépassait de deux têtes et me regardait avec insistance du haut de son majeur. J’étais en train de la trahir. 

  • – « Ce genre de phénomène arrive assez régulièrement chez les personnes seules. Je suppose que vous êtes célibataire monsieur Ferguson ? 
  • – Oui. » 

Le médecin prenait de notes en me posant ses questions.

  • – Donc… Célibataire, 42 ans… Vous vous parlez souvent à haute voix ? 
  • – Oui, comme tout le monde, non ?
  • – Non, pas comme tout le monde. Des petits coups de déprime de temps à autre ? » 
  • – De temps en temps.. 
  • – Depuis combien de temps n’avez-vous pas eu de relations sexuelles ? » 

Je répondais à ses questions de plus en plus gênantes sans comprendre réellement où il voulait en venir. 

  • – « Monsieur Ferguson vous avez développé un syndrome d’amplification membraire dû à votre dépression chronique. »
  • – Mais docteur, je ne suis pas dépressif, j’aime être seul c’est tout.
  • – Votre corps dit le contraire. La solitude vous rend malade et votre système tente de combler cela en développant des parties de votre corps qui ne sont censé ni penser, ni mesurer votre taille !! Vous parler à vous-même convainc votre corps qu’il vous faut un compagnon, il le fabrique donc par ses propres moyens. Si cela était possible je ferais bien sortir la concernée, car ce que je vais vous dire risque de lui déplaire… Si nous voulons régler ce problème il va falloir faire appel à une solution radicale… » 

A ce moment précis je sentis ma main se raidir.

  • – « Si nous la laissons faire monsieur, elle vous mangera. Tous les cas de ce genre finissent pareil. Je sais que vous vous y êtes attaché mais ce genre d’excroissance ça s’installe comme si de rien n’était et un jour vous n’avez même pas le temps de dire ouf qu’elle vous saute dessus. »

Je regardais ma main droite, puis ma main gauche, ma main droite, puis ma main gauche… 

Après quelques secondes d’hésitation, je décidais de reprendre ma vie en main.